Pour les communards, la Révolution politique et la Révolution sociale vont de pair. L’une a besoin de l’autre, et inversement.
Le peuple parisien, après les nombreuses trahisons de la bourgeoisie, après s’être fait confisquer la révolution par celle-ci à de nombreuses reprises, après avoir vu ses filles et ses fils mourir dans la lutte, entend à présent gouverner par lui même, et pour lui même. Le printemps 1871 qui voit fleurir les drapeaux rouges dans tout Paris, des bâtiments publics jusqu’aux barricades, fut l’un des plus créatifs en matière de progrès social et démocratique. Si son temps fut court et sa fin sanglante, la Commune de Paris continue à inspirer tous les révolutionnaires de toutes les nations, et son œuvre avant-gardiste constitue toujours une matrice pour nos espoirs et nos revendications.
A l’instar de la Commune de 1792, instaurée par le peuple de Paris suite aux journées révolutionnaires d’Aout de la même année, celle de 1871 rompt radicalement avec la démocratie représentative bourgeoise. Après le Révolution française de 1789, le pouvoir avait rapidement été confisqué des mains du peuple (pourtant acteur principal de la révolution, sinon auteur) et accaparé par une seule classe, gouvernant par elle même et pour elle même, sacrifiant les intérêts de la nation à ses profits. Les sans-culottes parisiens de 1792, en instaurant la Commune, créent un contre-pouvoir populaire, qui tiendra en respect le pouvoir législatif détenu par la bourgeoisie. Ce contre-pouvoir populaire qui porte la Montagne et Robespierre est à l’origine des premières grandes tentatives de réformes sociales de la jeune République, mais il sombrera avec Robespierre en Thermidor an II, avant que son œuvre puisse être achevée.
La Commune de 1871 demeure un exemple d’investissement populaire dans la politique, et de démocratie. Elle instaure pour les élus, les « mandataires », un mandat impératif. Le mandataire est élu pour respecter la volonté de celles et ceux qui l’ont élu, non pour gouverner par lui seul et dans son seul intérêt, il est à proprement parler au service du peuple. Les élections du 26 Mars 1871 dotent la Commune d’un gouvernement composé en grande majorité d’ouvriers, de petits artisans et d’employés.
Pendant les deux mois de la Commune, la vivacité de la démocratie fait fleurir les journaux et les clubs politiques. Les femmes et les hommes de la Commune s’expriment par la presse, et se réunissent volontiers après le travail, y compris les femmes, malgré le travail domestique qu’elles supportent toujours intégralement, pour débattre de la politique et contrôler l’action des mandataires.
Aussi courte soit-elle, l’expérience de la Commune est un des plus grands évènements de l’Histoire de France, et de l’Histoire ouvrière internationale. Un événement majeur dont l’Etat limite pudiquement l’enseignement, honteux toujours du massacre des parisiens, et inquiet à l’idée que nous puissions suivre l’exemple des communards pour partir « à l’assaut du ciel ».
Pour les communards, la Révolution politique et la Révolution sociale vont de pair. L’une a besoin de l’autre, et inversement. En deux mois d’existence, la Commune a une œuvre sociale jamais égalée dans l’Histoire de France. De nombreux aspects de cette œuvre restent à reconquérir, d’autres ont été conquis et sont à présent menacés.
Eprouvés par un siège interminable, les parisiens sont dans une situation extrêmement précaire en Mars 1871. Par ailleurs, le Second Empire a vu la France se convertir peu à peu au capitalisme industriel. Paris ne fait pas exception, même si les petits ateliers de quelques ouvriers n’ont pas encore disparu, et que les grandes usines s’y font encore rares. Les ouvrières et ouvriers de Paris vivent une exploitation forcenée, imposée par les lois d’une grande bourgeoisie aux affaires depuis la contre-révolution de Juin 1848. La commission du Travail de la Commune, en deux mois, n’aura certes pas le temps de mener jusqu’au bout son œuvre, mais elle soulagera toutefois les souffrances des travailleurs, et posera les bases d’une République sociale. Des mesures en faveur du logement des prolétaires (et notamment la réquisition des logements vacants) et en faveur du monde ouvrier (fin du travail de nuit en boulangerie, interdiction des amendes et retenues prélevées par le patron sur le salaire des ouvriers, qui étaient des moyens de pression pour discipliner les travailleurs, ébauche d’un salaire minimum, encouragement des associations ouvrières pour utiliser l’outil de travail abandonné par le patronat) sont adoptées.
On ne peut pas parler de l’œuvre sociale de la Commune sans citer l’Union des femmes pour la Défense de Paris, dont furent membres des femmes aussi illustres que Nathalie Le Mel et Elisabeth Dmitrieff. Cette union, qui fédère les parisiennes autour de revendications telles que l’égalité salariale et le droit de vote des femmes, est dans une proximité idéologique avec les courants marxistes et pousse la Commune dans le sens de la révolution sociale. En étroite collaboration avec la commission du Travail, cette union des femmes, précurseur du féminisme, s’emploie à faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes, que ce soit sur la place publique, à l’usine ou dans les foyers.
La Commune, soucieuse de l’émancipation humaine, veille également à instaurer, bien avant la loi de 1905, une séparation rigoureuse des églises et de la République. Le décret du 2 Avril 1871 entend combattre la mainmise de l’Eglise sur la société, à commencer par l’école. Ce décret ne s’attaque toutefois pas à la liberté de conscience, c’est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, liberté qui est réaffirmée à de nombreuses reprises par la Commune. Pour la première fois, l’école devient laïque, gratuite et obligatoire. Cette avancée vers la laïcisation de la République a ouvert la voie à la loi de 1905, loi aujourd’hui sans cesse remise en question par les réactionnaires et les communautaristes. Elle assure pourtant la liberté de conscience de tous et la neutralité de la République en matière religieuse. Souvenons nous toujours que cette conquête bien fragile a été conquise de haute lutte par le mouvement ouvrier.